Comment séduire et conserver les talents dans les entreprises familiales ?

Comment séduire et conserver les talents dans les entreprises familiales ?

Les sociétés familiales n’ont pas toujours la notoriété ni les moyens des grandes multinationales pour recruter des perles rares. Mais elles ne manquent pas non plus d’atouts pour séduire. Encore faut-il qu’elles parviennent à les mettre en avant

Comment lutter face aux multinationales et à leurs rémunérations rondelettes ? Comment convaincre de jeunes diplômés à peine sortis des grandes écoles de « s’enterrer » dans une petite ville de province au lieu de « faire carrière » à Paris, Shanghai ou New York ? Comment convaincre des cadres ambitieux de venir dans une société dans laquelle ils savent que les plus hauts postes sont déjà réservés aux membres de famille ? Comment retenir des experts qui se heurtent sans cesse au plafond de verre au-dessus duquel n’ont accès que les proches ? Le recrutement et la rétention des talents représentent un véritable défi pour les sociétés familiales.

Ce challenge n’est toutefois pas le même pour toutes les sociétés. « Je dissocierais les groupes de plus de 1,5 milliard d’euros de chiffres d’affaires et les autres entreprises familiales, précise Anne Debieuvre, la directrice du cabinet de recrutement Sirca. Les plus importants comme Plastic Omnium ou Peugeot ne sont pas vraiment considérés comme des entités familiales par les candidats ce qui n’est pas vrai dans le cas des entreprises de taille moindre. » Longtemps, les dirigeants de groupes patrimoniaux ont tenté de cacher leur particularisme. « Nous avons souffert il y a une dizaine d’années d’une sorte de complexe d’infériorité, reconnaît Marie-Helène Dick, la présidente du conseil de surveillance du spécialiste de la santé animale Virbac. Nous avons même cherché pendant un temps à copier les recettes des grands groupes avant de nous apercevoir que nous devions continuer de suivre notre propre chemin. La conséquence de cette évolution est que nous ressentons aujourd’hui une véritable fierté d’être une société familiale et cela se ressent auprès des candidats qui passent des entretiens d’embauche chez nous. » Les entreprises patrimoniales ont toujours séduit les personnes à la recherche d’un emploi.

Le grand public sait que ces employeurs pensent davantage à leurs salariés qu’à leur bilan financier et la dernière récession mondiale a confirmé cette vérité. 30 % des postes pourvus en France de 2009 à 2014 ont été créés par les 4400 entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui sont pour plus de 80 % d’entre elles familiales. En Allemagne, les groupes cotés sur l’indice de référence de la Bourse de Francfort, le Dax, ont licencié en plein cœur de la crise des subprimes en 2009 deux fois plus de personnes que les compagnies patrimoniales. Entre 2006 et 2010, les sociétés familiales outre-Rhin ont même accru leurs effectifs de 11% (+500.000 emplois) alors que les géants du Dax ont créé à peine 60.000 emplois (+2%).

Aujourd’hui, les grosses structures ne font plus rêver, aussi bien les cadres chevronnés que les jeunes diplômés. « Elles pouvaient paraître plus sécurisantes dans le passé, mais ces groupes sont soumis à des restructurations imposées par le contexte actuel. Au final les entreprises à taille humaine offrent un cadre de travail plus serein et plus propice à des relations pérennes. » souligne Mélanie Liska, associée au sein du cabinet de recrutement Edouard Franklin. Les sociétés familiales n’iront pas s’en plaindre… « Nous récupérons énormément de cadres qui en ont ras le bol de travailler pour de grands groupes, note Marie-Helène Dick. Ces dirigeants ont de moins en moins d’autonomie et ils passent leur temps à faire du reporting. La moindre de leur décision doit être approuvée par cinq ou dix personnes et tout ce processus prend un temps infini. Dans une entreprise comme la nôtre, les salariés ont beaucoup plus de marge de manœuvre. » Quant au plafond de verre qui pourrait dissuader certaines jeunes loups aux dents longues de venir vous rejoindre, mieux vaut en parler franchement au lieu de le dissimuler. « Ne racontez jamais d’histoire aux candidats, recommande un expert. C’est un frein majeur. Dites-leur clairement durant l’entretien d’embauche que les postes de direction sont réservés à votre famille si c’est le cas. En cachant la vérité, vous allez développer chez eux des frustrations. » Et n’hésitez pas à brandir vos origines patrimoniales comme un étendard ! « Depuis cinq ans, les entreprises familiales mettent en avant leur identité car elles ont compris que cela représentait un atout lors de leur phase de recrutement », constate Anne Debieuvre. Pour trouver la perle rare, plusieurs solutions existent…

Si vous cherchez des jeunes cadres, n’hésitez pas à prendre votre bâton de pèlerin. Faire des présentations dans les universités, les écoles de commerce et les instituts de formation permet de se faire connaître auprès d’étudiants. Une simple visite d’entreprise aide à nouer des contacts avec de potentiels employés. Les journées portes ouvertes sont l’occasion de faire découvrir son usine et ses activités à des personnes qui vivent dans votre région d’origine. Le sponsoring est un autre moyen d’accroître sa notoriété. Les réseaux de dirigeants, les clubs d’entreprises et les cercles d’anciens étudiants permettent aussi de trouver de bons candidats pour des postes à pourvoir. Faire appel à des cabinets de recrutement et à des chasseurs de tête est une autre méthode efficace. « Nous utilisons beaucoup leurs services quand nous avons un poste de senior à remplir et que nous ne trouvons pas de salarié en interne pour l’occuper, ajoute Marie-Helène Dick. Nous travaillons toujours avec le même chasseur car il connaît notre identité et nos besoins. Pour les postes d’un certain niveau, je fais également systématiquement évaluer les candidats par un spécialiste indépendant. Cette personne avec laquelle nous collaborons depuis une quinzaine d’années leur fait passer des tests et des entretiens qui permettent de déceler leur caractère, leurs besoins et leurs envies. Souvent, les aspects les plus importants d’un postulant ne figurent pas dans son CV… »

Pour trouver un secrétaire général ou un membre du comité de direction, le critère de sélection le plus important est plus subjectif. Le « courant » doit passer entre ces employés pas comme les autres et les membres de la famille. « Les cadres intéressés par les sociétés familiales cherchent avant tout à contribuer au succès de l’entreprise, estime la directrice de Sirca. Un dirigeant familial qui les écoutera et reconnaîtra ce qu’ils ont apporté à sa compagnie, les fidélisera. » Car recruter un bon élément est une chose mais le garder en est une autre…

« Les cadres qui travaillent pour des entreprises familles sont souvent chassés par les cabinets de recrutement car ils ont la réputation d’être autonomes et pluridisciplinaires », prévient Anne Debieuvre. Pour conserver ces pépites, une option toujours efficace est de sortir le chéquier. « Les rémunérations, les prise de participation ou un intéressement dans les opérations peuvent permettre de fidéliser certains collaborateurs », énumère Mélanie Liska. Mais il n’y a pas non plus que l’argent dans la vie. Loin de là… « Même si beaucoup pensent le contraire, les entreprises familiales ne sont pas forcément celles qui paient le plus mal, précise Anne Debieuvre. J’ai même été étonnée par le niveau de salaire proposé par certaines sociétés. Si un salarié reste chez son employeur, c’est principalement en raison de la qualité relationnelle au sein de la société. Il est important également de proposer régulièrement à ses cadres de beaux projets qui leur permettent de progresser. J’ai en tête l’exemple d’un ingénieur qui est entré dans une entreprise après avoir décroché son diplôme au poste de responsable d’atelier. Il est ensuite devenu chef de production avant de diriger une puis deux usines et il est aujourd’hui à 48 ans directeur de la supply-chain et siège au CODIR. De tels parcours permettent de retenir ses meilleurs éléments. »

Frédéric Thérin en collaboration avec Christophe Saubiez et Romain Chevillard